HISTOIRE DE BOULT-AUX-BOIS

Voici une courte histoire de Boult-aux-bois, que vous pourrez approfondir plus en détails grâce à l'ouvrage que lui a consacré un historien, M. Robert Cecconello : « Traces du passé de Boult-aux-Bois » aux Editions Terres Ardennaises (novembre 1999).

 

BOULT-AUX-BOIS : UN VILLAGE AU CŒUR DES ARDENNES & DE L'HISTOIRE DE FRANCE

Boult-aux-Bois, petit village niché au cœur de l'Argonne ardennaise, sur la route reliant Vouziers à Stenay, est à la frontière entre plusieurs régions historiques, situation qui lui a valu d'être le témoin de nombreux événements.

Du Moyen Âge (où Boult-aux-bois fût mentionné pour la première fois) jusqu'à la Révolution de 1789, le village fut le siège d'une importante commanderie, d'abord tenue par les templiers, puis par les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Certains de ses commandeurs, comme le célèbre Adrien de Wignacourt, laissèrent une empreinte durable par leur renommée et leurs actions.

Au XXᵉ siècle, Boult-aux-Bois a été touché par les deux guerres mondiales. Pendant la Première Guerre mondiale, la proximité de la forêt d'Argonne en faisait un lieu stratégique, et lors de la Seconde Guerre mondiale, le village se trouvait sur le chemin de l'avancée allemande. Ces périodes ont laissé des traces dans la mémoire collective locale.

Boult-aux-Bois a également vu grandir et s'accomplir des héros anonymes, comme la jeune Clarisse LAURENT, et le village a été marqué par le passage d'un grand écrivain (Emile Zola) dont la plume a effleuré ses rues et imprégné ses paysages.

« BOULT-AUX-BOIS » : LES ORIGINES DU NOM

L'histoire du nom de Boult-aux-Bois est un fascinant exemple de l'évolution linguistique au fil des siècles. Les archives révèlent des variations importantes dans l'orthographe du nom, reflet à la fois de la prononciation locale et de la liberté des clercs qui enregistraient les documents. Au XIIe siècle, le village était désigné sous le nom de Bo (Archives nationales, 1196), et au XIIIe siècle, on le retrouvait sous l'orthographe Booul (1246). Bou apparut au XVIe siècle, et au XVIIe et XVIIIe siècles, il était écrit Boux (notamment dans les Terriers et les actes notariés). Des variantes telles que Boulx, Bouë, ou Bouës existent également dans les documents de l'époque.

C'est sur la Carte de Cassini au XVIIIe siècle que l'on retrouve pour la première fois la forme Boult, qui se consolide véritablement au XIXe siècle. Si l'orthographe officielle a évolué pour devenir Boult, la prononciation locale reste souvent Bou.

L'adjonction de « -aux-Bois » apparaît plus tôt dans les documents, dès le début du XVIIe siècle, signifiant probablement une caractéristique géographique liée à la forêt environnante.

Le nom Boult lui-même reste mystérieux dans son origine. Certaines hypothèses suggèrent que « Boux » pourrait dériver de « bois », tandis que d'autres, influencées par la forme actuelle, le lient au mot « bouleau », un arbre commun dans la région. Une autre théorie évoque « Bo », le nom le plus ancien, qui pourrait dériver de « bodillum » ou « bodillis », termes latins désignant un abri ou une cabane, peut-être un refuge dans les bois. Le nom du village pourrait aussi provenir du latin « boscus », signifiant « bois », en référence à son environnement forestier.

Cependant, ces hypothèses, bien que plausibles, ne permettent pas encore d'identifier avec certitude l'origine exacte du nom de Boult. Les recherches restent en cours, et chaque piste apporte une contribution à l'histoire complexe de ce village.

LA FORET DE BOULT AU SECOURS DE L'ORDRE DE MALTE CONTRE LES TURCS

Fondé au XIIe siècle, l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem s'installa sur l'île de Rhodes au début du XIVe siècle, où ses chevaliers devinrent les redoutables gardiens des mers. En traquant les pirates barbaresques et en sécurisant les côtes du Proche-Orient, l'Ordre défendait farouchement les frontières chrétiennes. Composé des fils des plus grandes familles d'Europe, principalement de France, les chevaliers prêtaient des vœux de chasteté, d'obéissance et de pauvreté, bien que l'Ordre lui-même possédât d'immenses richesses, héritées des Templiers. La Commanderie de Boux faisait partie de ces possessions qui finançaient les actions de l'Ordre.

Cependant, au XVIe siècle, l'Empire ottoman, à son apogée sous le règne de Soliman le Magnifique, menaçait l'Ordre. En 1522, après un siège héroïque de six mois, les chevaliers furent contraints de céder Rhodes aux Ottomans. Ils se réfugièrent alors sur l'île de Malte, offerte par l'empereur Charles Quint. L'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem devint ainsi l'Ordre de Malte, mais la menace ottomane demeura. En 1557, sous l'autorité du Grand Maître Jean Parisot de La Valette, l'Ordre renforça la défense de l'île avec d'imposantes fortifications.

Pour financer cette défense, l'Ordre exploitait des terres cultivées (800 hectares rien que dans la commune de Boult-aux-bois) ainsi que des forêts de haute futaie, comme la forêt de Boult. Celle-ci, nationalisée pendant la Révolution, est devenue la forêt domaniale située aux portes du village.

LOUIS XVI A BOULT-AUX-BOIS : UN RENDEZ-VOUS MANQUÉ !

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VALMY

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CLARISSE LAURENT

Clarisse LAURENT n'est pas seulement l'une des rues du village, c'est aussi et surtout une jeune héroïne de 19 ans. L'histoire de Clarisse Laurent est un témoignage poignant de courage, de dévouement et de solidarité au cœur de la tragédie.

Au XIXe siècle, le choléra fit plusieurs vagues dévastatrices à travers l'Europe. La France fut particulièrement frappée par l'épidémie de 1832, avec une grande concentration de cas à Paris, où le président du Conseil, Casimir Périer, succomba à la maladie. Une nouvelle épidémie survint entre 1846 et 1851, et en 1849, le maréchal Bugeaud en fut également victime. Cette année-là, le choléra toucha également les Ardennes, et les foyers de résurgence se prolongèrent pendant plusieurs années, frappant de nombreuses localités, dont Boult-aux-Bois.

Le choléra arrive à Boult-aux-Bois en 1849, et le village, comme tant d'autres dans la région, est durement frappé. La peur et la panique se propagent rapidement, poussant certains habitants à fuir leurs maisons, abandonnant même leurs proches malades, par crainte de la contagion.

Seule l'intervention du médecin envoyé par le sous-préfet et l'engagement de quelques villageois courageux permirent de contenir l'épidémie.

Parmi ces héros anonymes, Clarisse Laurent, alors âgée de 19 ans, se distingua par son courage et son altruisme. Vivant rue des Friches avec son père et ses frères, elle avait repris les responsabilités du foyer après le décès de sa mère au printemps de la même année. Dès l'apparition des premiers cas, la jeune Clarisse s'investit pleinement pour venir en aide aux malades, nettoyant, soignant et réconfortant sans jamais se soucier de sa propre sécurité.

Le médecin de l'époque témoigna de son dévouement exceptionnel : au plus fort de la crise, Clarisse passa huit jours et huit nuits sans sommeil, apportant des soins aux cholériques et contribuant à sauver de nombreuses vies. Par sa détermination et sa compassion, elle redonna espoir à ses concitoyens alors que l'épidémie faisait rage.

Hélas, alors que la maladie reculait, Clarisse succomba au choléra dans la nuit du 9 octobre 1849.

Sa mort bouleversa le village, et le 14 novembre 1849, le conseil municipal lui rendit un hommage solennel, soulignant son courage et son sacrifice.

Le maire demanda même une aide financière pour soutenir son père, terrassier et en grande précarité, témoignant de la gratitude collective envers cette jeune fille au ""dévouement sublime"".

Cependant, cette reconnaissance fut accompagnée d'un contraste saisissant : dans cette même délibération, le maire, l'un des plus riches habitants de Boult-aux-Bois, réclama le remboursement des frais engagés pour héberger et nourrir le médecin envoyé par le sous-préfet. La somme demandée, 45 francs, fut approuvée unanimement par le conseil municipal.

EMILE ZOLA

Émile Zola a traversé le village de Boult-aux-Bois le XXX avril 1891, lors de son long voyage de Reims à Sedan, en vue de documenter, avec la méthode exigeante qui était la sienne, le tragique périple de l'Armée française qui se termina, le 1er septembre 1870, par le désastre de Sedan. Son carnet de route, publié dans la collection « Terre humaine », a donné une description précise de la campagne ardennaise à la fin du XIXème siècle.

1918

En 1918, dans les derniers mois de la Première Guerre mondiale, Boult-aux-Bois fut témoin d'un événement marquant : la rencontre des armées françaises et américaines. Tandis que l'offensive alliée prenait de l'ampleur pour repousser les forces allemandes, ce village paisible devint un lieu de passage stratégique pour les soldats.

Les troupes françaises, aguerries par quatre années de combats éprouvants, accueillirent leurs alliés américains, venus en renfort avec leur enthousiasme et leur fraîcheur. Les soldats des deux nations se croisèrent dans les rues et les prairies bordant le village. La scène, marquée par l'échange de rations, de mots maladroits dans des langues différentes, mais surtout de poignées de main fraternelles, illustrait l'union des forces alliées.

Des habitants, curieux et émus, assistèrent à ces moments de fraternité entre soldats. Pour les villageois, cette rencontre était porteuse d'espoir, le signe tangible que la fin de la guerre approchait. Les Américains impressionnèrent par leur équipement moderne et leur entrain, tandis que les Français partageaient leur expérience du terrain et leur détermination à reconquérir leur territoire.

Aujourd'hui encore, Boult-aux-Bois se souvient de cet épisode comme d'un moment de solidarité qui marqua les tous derniers moments de la guerre.

Des photos d'une qualité exceptionnelle pour l'époque, rendues possibles par l'équipement sophistiqué des Américains, ont immortalisé cette rencontre mémorable. Ces clichés, d'une précision rare en 1918, capturent les visages ravis des soldats français et américains et les gestes simples de fraternité entre alliés.

MAI 40 : L'ATTAQUE ALLEMANDE

Nous sommes en 1940, au printemps. Le mois de mai s'épanouit dans toute sa splendeur. Les premières jonquilles, d'un jaune éclatant, décorent les prairies verdoyantes. Les hirondelles volent bas, virevoltant joyeusement parmi les soldats, mobilisés quelques mois plutôt pour mener une « drôle de guerre », tandis que les cigognes, majestueuses, observent le monde depuis les hautes cheminées des pittoresques villages alsaciens.

Pourtant, à quelques encablures de cette douce quiétude, l'ombre de la guerre se profile. Avec le retour du beau temps, Hitler vient de donner le signal de la grande offensive. La machine de guerre allemande, redoutable et équipée de matériels de destruction impressionnants, s'apprête à s'élancer à travers la Belgique, et à pénétrer le territoire français par une région que l'état-major français, confiant en l'infranchissabilité de son relief, considérait comme impénétrable : les Ardennes.

Nous sommes le 9 mai 1940 dans le village de Pouru-aux-bois, situé à seulement 45 kilomètres de Boult-aux-bois, à proximité immédiate de la Belgique et de la maison forte qui servit de décor au film de Michel Mitrani (« un balcon en forêt »), où le jeune Francis DEOM, fils d'agriculteurs alors âgé de 15 ans, mon grand-père, est le témoin (comme tous les habitants des Ardennes) de l'attaque surprise et de la tragédie qui s'annonce :

« Nous allons planter les pommes de terre aujourd'hui. La troupe est en alerte. Les hommes ont reçu des cartouches et les chevaux doivent être sellés à 9 heures.

« Si je regardais un peu aux paquets » demande maman. « C'est toujours d'aller aux canadas, répond papa, regarde aux paquets si tu veux, mais faut venir après-midi ! ».

Nous les plantons à la houe. Je pars seul. « Où c'est y qu'tu vas ? » s'enquièrent les bonnes femmes du lavoir. « Aux canadas. Ma foi oui, si c'est les boches qui les arrachent, on l'verras bien ! ».

J'arrive, je travaille. C'est un temps splendide. Un temps de mai. Le père Habary arrive aussi dans un champ non loin de là.

- Tu sais, crie-t-il, les boches sont entrés en Belgique !

- Ah !

- Et pis en Hollande !

- Oh !

- Et pis, ils ont bombardé Bruxelles, Anvers, Amsterdam et Namur !

- Sans blague ?

Pour ma part, je n'en crois pas un mot. Les boches sont déjà tant de fois entrés en Belgique ! Pour toute autre occasion – fausse – je me serais précipité vers lui pour avoir des nouvelles. Aujourd'hui, parce que c'est vrai, je reste là.

- Alors, on va évacuer ? lui demandais-je alors.

- Oh ! Pense-tu ! répond-il

Je me remets à piocher. On entend des roulements d'avions au loin, vers Carignan ou Montmédy.

Tout d'un coup, et « ploc, plic, plac », un cavalier apparait là-bas, à la croisée des chemins, vers le poste de douane. Puis un autre et un autre, et un autre encore. Ils prennent la route de la frontière et s'enfoncent dans les sapins. Ils marchent en file indienne, dans le fossé. Voici une mitrailleuse, puis un antichar.

Ca y est, me dis-je avec un serrement de cœur, les voilà partit en Belgique.

Et lâche, je n'avance même pas pour leur dire adieu…

Papa est venu me rejoindre. La matinée s'avance. La troupe passe toujours.

A onze heures je reviens vite au pays et dévale le Nourru quatre à quatre. Les soldats sont bien partis. Les Allemands ont bien attaqué. C'est l'heure des informations. Les Belges résistent victorieusement. Les Hollandais résistent aussi victorieusement et les alliés marchent en avant.

Tout va bien…

Nous repartons à ces malheureuses pommes de terre avec le cheval et le traineau. Il fait très beau.

Et c'est là que commence le drame…

Soudain, arrivés au bas de la Broue, nous entendons un ronflement qui devient peu à peu formidable.

A 2000 mètres, peut-être 1500, voici des avions et des avions !

Ils sont rangés en triangles, 7 par triangle, et trois triangles vont de front pour former (ensemble) un autre triangle qui avance comme un coin.

Il y en a des gris au milieu et des tout blanc sur les côtés. Ils vont vite et ils sont gros.

Leur bruit extraordinairement lancinant domine le bruit des roues de fonte du traineau que je fais marcher exprès sur les cailloux. Nous faisons deux kilomètres avec ça au-dessus de nous.

Le cheval est très énervé, il danse.

J'ai compté 76 avions qui disparurent derrière les collines de Chiers et Meuse. La DCA n'avait pas tiré…

Un quart d'heure plus tard le bourdonnement revient moins fort semble-t-il. Nous étions derrière un bois, de sorte que nous les entendions sans les voir.

Tout à coup, « clac », plusieurs obus de DCA éclatent sèchement coup sur coup. Et voilà qu'une minute après, pas plus, deux détonations formidables ébranlent l'atmosphère et nous font sursauter, immédiatement suivis de plusieurs autres, rapides, mais tellement fortes qu'elles percent les oreilles comme des coups de canon antichar. Deux avions surgissent de derrière les bois, l'un derrière l'autre, à 50 ou 75 mètres de hauteur, pas plus. Ils vont plus vite que la foudre, leurs mitrailleuses aboient rageusement et les moteurs vrombissent dans un bruit d'enfer. Nous baissons la tête instinctivement, mais les deux monstres sont déjà sur l'horizon. Leur déplacement d'air fait frissonner les rameaux du bois.

Les bombardiers redéfilent cette fois en sens inverse et en ordre un peu dispersé. Dans la vallée, de gros nuages gris s'étirent, s'élèvent et se diffusent lentement dans l'air. On respire une odeur de poudre. La DCA tire à côté pour ne perdre l'habitude.

Puis tout se calme peu à peu.

Qu'était-ce que ces deux avions qui avaient ainsi l'idée saugrenue et dangereuse de faire du 400 à l'heure à ras de terre en se mitraillant réciproquement ?

Vraisemblablement, c'était un français ou un anglais qui, ayant voulu gêner les bombardiers, fut attaqué lui-même par un chasseur de l'escorte allemande et descendit pour lui échapper.

L'autre le suivit et le poursuivait à ras-de-terre quand nous les avons vu.

Toujours est-il que c'est une chose inouïe, ce calme relatif, et puis, sans transition, cet enfer qui bondit, hurle et disparait !

Mus par une sourde inquiétude, nous revenons plus tôt que d'habitude. Au pays, on nous apprend que Pourru a été aussi bombardé. Plusieurs bombes sont tombées, dont une sur une maison près de l'école. Il y a des victimes. Qui ? Combien ? On ne sait au juste.

On se demande ce qui va se passer. « Moi, dit René, ça ne m'étonnera pas, qu'dans 15 jours on nous dit qu'faut évacuer ! ». Eh ! Le pauvre ! Dans 15 jours !

Notre chariot est à la scierie, a 300 mètres de chez nous. Nous décidons d'aller le chercher et de le monter, crainte d'imprévu. Je pars avec mon jeune copain Marcel qui a été à Pourru tout à l'heure et m'a donné un éclat de bombe. Le soir tombe. On n'entend rien. Nous pensons à ce qui se passe là-haut, entre les boches et les Belges. Mais il ne nous vient pas à l'idée que c'est là le dernier soir au pays. Tout est calme, il ne passe pas de troupes, plus d'avions, il n'y a plus rien à craindre !

Revenus au pays nous nous trouvons dans la colonne auto du 11ème cuirassiers qui part rejoindre les soldats en Belgique, du côté de Neufchâteau. Une roulante s'est arrêtée et on interroge les cuistots. Ils nous disent qu'à Francheval c'est une file ininterrompue de réfugiés belges. Ils viennent de Bouillon mais à cause de Sedan on les fait bifurquer par Francheval et Douzy.

Nous commençons à comprendre que la situation n'est pas si claire que la 795 le dit…

Toute la soirée se passe en discussion dans les rues…

Il est tard, onze heure et demie peut être… je viens de me coucher avec l'intuition que ce n'est pas pour longtemps ; je m'assoupis.

D'un coup, comme en rêve, j'entends tambouriner à la porte d'en face, celle du garde-champêtre : « Philomin, Philomin, mais lève-toi donc ! Nom de Dieu ! » J'entends des voix, des galops étouffés.

Je saute en bas du lit et je sors. Il fait nuit noire et très froid. Une ombre traverse la place avec une sonnette et s'arrête au milieu : « Ding, Ding, Ding, Ding ! ». Des portes s'ouvrent en silence. « Ding, Ding, Ding ! ».

« Par ordre de l'Autorité Militaire, le village devra être évacué to-ta-lement à – deux heures du matin – dernier délai ».

C'est tout. Deux heures du matin ! Il est minuit.

Les portes se referment sans un mot.

Derrière la côte de la Pierreuse, des projecteurs fouillent le ciel nerveusement.

Voilà ! C'est fait. Depuis le temps qu'on la redoutait, cette maudite évacuation, depuis le temps qu'on l'attendait ! La voilà, simplement, hideusement. Deux heures !

Je rentre. Mes parents ont déjà enlevé les matelas du lit et font des paquets de literie en mettant l'édredon et le matelas au milieu, puis les draps, et les couvertures par-dessus, le tout roulé et ficelé. Les malles sont déjà prêtes.

Pendant une heure c'est une activité fébrile pour apprêter les quelques objets les meilleurs. Heureusement que nous avons songé à l'avance à ce qu'il faudrait emporter et laisser !

J'ai songé à prendre mes livres et mes papiers auxquels je tiens le plus. J'avais aussi emballé précieusement un morceau des cloches de Pourru cassées par les Prussiens en 17.

Nous emballons des provisions, le café surtout, le précieux café ! des casse-croutes, des pâtes, du pain, des œufs, du lard, du sucre, du riz… En plus du linge et des vêtements, de quelques ustensiles de cuisines pouvant servir en route…

Et puis quoi ! On voudrait tout prendre, tout emporter ! Eh bien, non ! On ne peut pas !

30 kg ! Songeons-y ! 30 kg, ça nous fait 90, mettons 100 kilos. C'est pas lourd ! C'est pas gros !

Mais il me faut aller chez tante Aline, pour l'aider aussi à emballer. J'y passe une demi-heure.

Il est maintenant une heure et demie. Plus que trente minutes !

La nuit est très noire. Bien que tout le village emballe, on n'entend rien, et mes pas sonnent sur la route. Tantôt je grelotais, mais maintenant il fait presque doux. Est-ce déjà l'habitude ? Non, car je ressens une grande inquiétude. Qu'est-ce qui va se passer tout à l'heure ?...

Papa m'envoie offrir mes services à un voisin, Lucien Dazy qui doit avoir du mal pour charger.

Nous avançon son chariot devant la maison. Comme il est encore monté pour charroyer le bois, je l'aide à le regarnir, des planches, des échelettes et des péronnes. Puis un autre voisin arrive aussi pour aider et je reviens.

Deux heures du matin. Personne ne part, personne n'est partit.

Au diable soit l'autorité Militaire et ses ordres saugrenus !

Comment veulent-ils qu'on s'y prenne pour liquider en deux heures le fruit de vingt années ?

 

Francis devait fêter son 16ème anniversaire quelques jours plus tard, le 18 mai 1940. Cette année, ainsi que les suivantes, il ne le fêtera pas chez lui : le village de Pouru-aux-bois, évacué en urgence par ses habitants, sera pris quelques jours plus tard par les Allemands, avant que ces derniers ne poursuivent leur rapide progression en direction du sud des Ardennes, vers Boult-aux-Bois :

 

« Les premiers villages français sont ensanglantés avant d'être conquis.

Les trois régiments de volontaires étrangers, formés à Barcarès, sont relevés des positions où ils se trouvaient, pour être lancés dans les secteurs les plus menacés :

- le 22e régiment dans la Somme : la bataille de Péronne ;

- le 23e régiment dans la région de Soissons ;

- le 21e dans les Ardennes.

Les avions allemands ne quittent pas le ciel. Ils bombardent les routes, les ponts et les gares.

Le 21e régiment se déplace avec grande difficulté, voyage en train, en camion et marche beaucoup à pied. Il fait chaque jour des dizaines de kilomètres.

On se prépare à une guerre des tranchées et il faut creuser des centaines de kilomètres...

On s'approche des Ardennes. L'itinéraire passe par Long- champs, Chaumont, Erize-la-Grande, après Sainte-Ménéhould, Cernay, le Morthome, jusqu'aux environs du village de Boult-aux-Bois.

Là, on s'arrête dans le petit bois, non loin du village, et on se trouve face à l'ennemi.

Le village de Boult-aux-Bois est occupé par les Allemands, les nôtres regardent vers les maisonnettes toutes blanches, avec les toits de tuiles rouges, entourées de champs resplendissant de toutes les couleurs. C'est ici, dans les petits bois que la compagnie de Srolek, la « C.A.1. » va livrer sa première bataille. Les nôtres, bien qu'épuisés par une longue marche, occupent rapidement les positions de combat.

Les Allemands commencent par bombarder le bois avec leur artillerie ; les bombes explosent de tous côtés, criblent la terre, et projettent en l'air les troncs des arbres.

Puis ils attaquent, couverts par le feu des mitrailleuses lourdes.

Nous comptons nos premiers morts. Voici un camarade avec lequel tu as vécu, que tu aimais comme un frère, il gît ensanglanté dans tes bras, et te confie sa dernière parole... toi, tu dois partir et l'abandonner pour toujours...

Ce fut un combat bref mais sanglant, les nôtres furent obligés de se retirer.

Le lendemain, le bataillon occupait de nouvelles positions dans le village des Petites-Armoises, on creusait des trous individuels, on installait le canon 25 et les mortiers, on se fortifiait. »

(« Notre Volonté », Bulletin de l'Union des Engagés Volontaires et Anciens Combattants Juifs 1939-1945, Octobre-Novembre 1989, N°2).

Aujourd'hui encore, la forêt de Boult-aux-Bois porte les stigmates de son passé, durablement marquée par les cicatrices de ses tranchées et nombreux trous d'obus.